Trouver les mots justes - Cordel N°70
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Les mots sont importants
Le choix des mots n’est jamais sans conséquences et c’est particulièrement le cas dans le soin. Lequel s’appuie, on le sait, même si parfois on l’oublie, sur deux idées fondamentales : la vie est précaire et on a besoin des autres. Alors, quel type de « vérité » les soignants, les patient·es et les aidant·es ont-ils ou elles besoin de partager ? Comment parler et se parler entre la peur de découvrir quelque chose de grave et la confiance en ses ressources ? Entre clairvoyance et réconfort ? Comment choisir « les mots justes », qui soigneront ou aideront à engager le soin, qu’on soit patient,·e soignant·e ou aidant·e ? Des risques existent pour le ou la patient·e : ne pas pouvoir formuler « ses mots justes », ne pas parvenir à dire et faire reconnaitre son ressenti. Comme pour le ou la soignant·e : assener des mots qui blessent, qui minimisent le ressenti de la personne. De même pour l’aidant·e, le risque serait par exemple de dire des paroles moralisatrices, ou victimisantes.
- Quand justesse rime avec justice, face au déni, aux occultations, aux mensonges
Les patient·es ont besoin d’interlocuteurs ouinterlocutrices qui soient des témoins, qui attestent de la légitimité de leur ressenti, et cela à plusieurs niveaux (médicaux, sociaux, psychiques), sans faire de fausses réassurances. Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui refuse d’entendre le défi existentiel auquel on est confronté (son désir de mener sa vie au milieu de toutes ses contradictions), notamment dans la relation avec le ou la soignant·e.
Dans les situations médicales délicates, comment soutenir le désir profond de chacun·e, quelle que soit sa nature ? Par exemple, dans les situations de fin de vie, où la personne peut être partagée entre le désir de continuer à vivre même si la maladie la confine dans un mode de vie très réduit, et dans le même temps l’envie de baisser les bras pour ne plus avoir à lutter.
De la même manière, au niveau social, lorsqu’une personne ose, ou non, dire clairement que ses conditions de vie jouent sur sa santé : il est important que le ou la soignant·e puisse comprendre et reconnaître, et par là aider la personne à dire qu’il est difficile de vivre dans la précarité , dans l’insécurité d’un quotidien exténuant et méprisé : « Oui, ce n’est pas juste ce qui vous est arrivé. »
De même, au niveau psychique, les émotions vécues de peur, parfois de danger vital, de solitude, d’abandon, de colère, ou encore de mort intérieure doivent être entendus ; « Oui, vous avez été rejeté,·e oui, vous avez été en danger de mort ». Cette écoute, cette résonance atteste alors d’une humanité commune , et devient un appui pour avancer ensemble. Elle témoigne à la personne de l’intérêt qu’on lui porte pour qu’il ou elle se sente sujet, un véritable être singulier.
Une histoire de résonance, d’ajustement, de climat
Bien sûr « les mots justes » d’une personne ne seront pas celles d’une autre.
Réfléchir aux conditions aux quelles les patient·es pourront oser formuler leurs ressentis, leurs questions, leurs attentes, c’est en partie réfléchir aux moyens que les soignant·es se donnent, ou pas, pour entendre et dire les mots justes avec chacun et chacune. Une attitude d’ouverture et de curiosité au niveau sociologique, anthropologique, psychique est tout aussi utile que les connaissances biologiques, « scientifiques » sur les questions « médicales ». Dans l’instant de la consultation, essayer d’entrer dans une attitude de bienveillance, de non jugement, d’envie de découvrir, cela va aider l’interlocuteur ou l’interlocutrice à parler. Il s’agit de s’accorder l’un·e à l’autre, un peu comme dans la danse.
Le choix du vocabulaire, des images
Bien sûr, il faut s’adapter à l’univers, à la culture du patient ou de la patiente, et aussi à sa façon de considérer la vie. Des formulations vont s’imposer en fonction des patient·es, des soignant·es et du contexte de leurs échanges. Enclencher un soin nécessite un pas de deux dans lequel un vocabulaire adapté et pertinent aidera à avancer ensemble. Par exemple devant des résultats d’ analyse préoccupants, on pourra choisir dans une large palette de mots selon les cas, par exemple entre « des cellules anormales », « des cellules cancéreuses », « des cellules qui nous préoccupent » etc. Tout cela va aider à instaurer une confiance mutuelle nécessaire pour la suite.
Le bon moment, le moment juste
Le ou la patient·e et le ou la soignant·e ont besoin de temps pour trouver le bon moment, ni trop tôt, ni trop tard. Le soin se déploie dans le temps. On sait qu’il existe différentes étapes que traverse une personne confrontée à une maladie grave, entre déni, colère, acceptation. Il est précieux que le ou la soignant·e prenne le temps, demande au ou à la patient·e ce qu’il/elle a compris, attend, redoute, espère de la situation, pour pouvoir s’adapter. En fin de consultation, quand un climat d’écoute est installé, dire « Avez-vous d’autres questions ? » peut aider la personne à oser exprimer ce qui lui tient à cœur.
Une question d’engagement, de sincérité
L’important, ne ce serait-ce pas finalement à la fois le mouvement de chacun·e pour essayer de trouver un terrain d’entente et les tâtonnements, en mots et en silences ? Et cela, d’autant plus si l’on ne partage pas la même langue maternelle ou la même façon de parler. Au-delà des peurs, réticences et découragements réciproques, ne jamais s’empêcher de chercher les mots justes, quelles que soient les difficultés de communication. Cela peut être un élément de base de la relation de soins. Oser s’engager le plus sincèrement possible.
« J’ai besoin que quelqu’un dise les mots justes, au lieu de les contester. » Myriam, une patiente du psychanalyste Gaetano Benedetti, citée dans Le défi existentiel de la psychose « Je me sens condamnée par tes mots Je me sens tellement jugée et repoussée, Avant de partir, j’aimerais savoir, Est-ce cela que tu voulais dire ? Avant que je ne construise un mur de mots, Dis-moi, ai-je bien entendu ? Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs, Ils nous condamnent ou nous libèrent… » Ruth Bebermeyer « L’objectif devrait être de créer une atmosphère qui autorise certains silences et donne à chacun le temps de trouver ce qu’il pense vraiment ou ce qu’il veut vraiment dire. » Michael Balint le médecin, son malade et la maladie « Les mots justes sont de l’action. » Hanna Arendt |
« Ouvrir des possibles » Et si un mot « juste » le devenait quand on sait qu’il veut dire ce qu’il dit et aussi un peu plus. C’est ce que fait le poète, c’est aussi ce que chacun fait quand il est disponible à lui-même et aux autres. « Sous chaque première phrase, entendre tous les possibles. En revanche, peut-être pourrais-je substituer à cette expérience de la première phrase une autre expérience, celle de ce qui apparaît quand on travaille. C’est particulièrement clair en peinture : évidemment, tout dépend peut-être des premiers gestes, des premières couleurs que l’on place sur la toile, mais il y a un moment où quelque chose qu’on n’attendait pas du tout apparaît et se voit. Ce moment-là, on peut le suivre. C’est vrai pour moi dans tout : dans la vie, dans la manière d’écrire, de penser, de parler, de peindre. Quelque chose apparaît qu’on n’attendait pas, et à partir de là, on suit ». Barbara Cassin, Le Bonheur, sa dent douce à la mort, ed Fayard. |
L’expérience de l’improvisation : une formulation qui jaillit de l’interaction
Lors d’un spectacle d’improvisation théâtrale, des comédiens créent ensemble une ou plusieurs histoires et les interprètent devant un public. Contrairement au théâtre, il n’y a aucun texte écrit à l’avance : tout est inventé sur l’instant. Ce qui fait le plaisir de celles et ceux qui jouent, et aussi du public, c’est cet état de disponibilité à ce qui arrive. Ses sensations, son corps, ses émotions, ce qui arrive autour comme les bruits ou les imprévus, la façon dont son partenaire est lui-même dans son corps, son humeur, ses propositions.
L’idée, c’est de ne jamais dire « Non », mais de dire « Oui ET », de prendre appui sur la proposition de l’autre et de rajouter quelque chose. C’est le jus que donne la surprise de ce que l’autre va dire. C’est cette disponibilité qui fait que l’histoire se construit. Il existe des ateliers, des matchs d’impro venus du Québec, des improvisations aussi dans le travail du clown.
Peut-être que voir et écouter en vrai ou sur internet, participer soi-même à ce genre d’ateliers est une bonne manière de mieux s’exercer à trouver les mots justes…
Cordel écrit par le Collectif Outils du soin lors de plusieurs résidences cordel, Novembre 2020, Cordel n° 70 www.outilsdusoin.fr |
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