Qui fait quoi à qui ? Les transferts - Cordel n°52

mercredi 24 janvier 2018
par  Elisabeth Arrighi, Outils du soin
popularité : 9%

Qui fait quoi à qui ? Ou les transferts

**Une découverte fondamentale dès le début de la psychanalyse

Avec l’identification de l’inconscient, la notion de transfert est une découverte fondamentale de Sigmund Freud. Il a mis à jour que le patient transfère sur le thérapeute des sentiments qu’il a vécus autrefois envers son père, sa mère, les personnages de son entourage, sentiments d’amour, de haine…. Pour Freud, ce sera un moyen de comprendre et de résoudre les conflits psychiques. Il s’agissait pour l’analyste de se mettre à distance, d’être dans une « neutralité bienveillante ».
Mais un de ses jeunes contemporains, Sandor Ferenczi, lui, a identifié que non seulement le patient transférait des sentiments, mais le thérapeute aussi était pris dans des affects qui le mobilisaient lui aussi, dans un « contre transfert ». Et que ce mouvement psychique faisait partie du travail psychanalytique. Il a même essayé pendant une période l’ « analyse mutuelle » où, chacun son tour, l’analyste et le patient échangeaient leur place et analysaient l’autre. Cela n’a pas duré longtemps, car cela posait trop de problèmes.

**Le théâtre du « qui fait quoi à qui ? » et les 4 transferts

A la suite de Ferenczi et de ceux qui se sont attelés au soin des patients psychotiques, Pierre Delaunay a proposé d’analyser les moments transférentiels comme un temps primordial.
« Qu’est-ce qui se passe entre les deux ? Qu’est ce que l’un fait à l’autre en s’adressant à lui ? Et aussi : comment l’autre réagit-il ? C’est cela qui se répète avec la rigueur d’un automatisme, sauf à ce que les réactions du psychanalyste soient nouvelles dans la rencontre. »
 « L’interprétation doit ensuite répondre à la question : qui a fait ça, en le disant à qui ? »

P. Delaunay a alors repéré 4 modalités de transfert :
- le transfert direct : on répète, on fait à l’analyste ce qu’on a déjà fait à un autre. On imagine qu’il nous fait ce que cet autre nous a déjà fait. On s’occupe de l’analyste comme on s’est occupé de cet autre.
- le transfert provoqué : l’analyste tend à faire à l’analysant ce qu’un autre lui a déjà fait, à lui, analysant. L’analysant se fait faire ce qu’on lui a déjà fait. C’est un phénomène bien connu des éducateurs ou des infirmiers psychiatriques qui sont moins sujets à la dénégation que les psychiatres. Ferenczi en parlait déjà : « le psychanalyste, agent des pompes funèbres. » « Quelle que soit sa bonne volonté, le psychanalyste est destiné à répéter le crime. On peut au moins attendre qu’il le reconnaisse. »
- le transfert inversé : c’est une généralisation de l’ « identification à l’agresseur » : on fait à l’autre ce qu’on nous a déjà fait. Autrement dit, l’analysant se comporte comme l’adulte, il traite l’analyste comme on l’avait traité autrefois quand il était enfant. Avec les mêmes techniques souvent affolantes. L’analyste pourrait être tenté de résister à cette maltraitance, à ces passages à l’acte, et d’accuser l’analysant, alors qu’il serait utile de discerner la répétition d’une maltraitance. Il s’agit, au contraire, de considérer que le ressenti de l’analyste ( sa révolte, sa colère, son sentiment d’être maltraité ) est une manière pour l’analyste d’accéder au ressenti de l’analysant enfant.
- le transfert interne : on se fait à soi-même ce qu’on nous a déjà fait. On se nomme comme on a été nommé. On se porte comme on a été porté. Alors, ça continue si l’on n’est pas assez créatif pour inventer autre chose. Cela constitue souvent des situations très difficiles.

**Le levier du contre transfert

Searles, Benedetti, par exemple, s’attachent à identifier ce que ressent le psychanalyste, à condition qu’il se soit engagé dans la relation, rendu disponible, à l’écoute du vécu du patient. Pour eux, le « contretransfert » du thérapeute ne reflète pas un mouvement psychique qui ne dépendrait que de l’analyste, mais serait en résonnance directe avec le ressenti du patient. Le « contretransfert » devient un révélateur, un haut-parleur d’un ressenti caché, occulté, méconnu par le patient lui-même. La question pour l’analyste devient « qu’est-ce que je ressens ? » « Qu’est ce que mon patient me fait vivre à son insu ? » « En quoi cela a-t-il à voir avec son vécu d’autrefois ? »

**Le passage par le corps, l’appareil psychique pour deux

La circulation des ressentis passe par des sensations ( impressions de fatigue, de somnolence, d’abattement, de peur, de sidération, de colère...). De même qu’autrefois l’analysant s’était retrouvé seul, avec un ressenti non nommé, voire innommable, sans témoin pour dire ce qui se passait, l’analyste peut ressentir des sensations qu’il ne comprend pas. Penser que ce sont des sensations anciennes de son analysant et méconnues par lui ouvre alors un espace pour eux deux.

**Citations
« Traversé par des orages d’amour et de haine, cherchant
tantôt à séduire et à chérir, tantôt à punir et à
détruire, chaque homme a dû, dès l’enfance, s’astreindre
à naviguer entre les interdits et les impossibles de
sa vie… A son insu, des scénarios s’organisent, scènes
bouffonnes et scènes tragiques, en quête d’un lieu de
représentation et d’action. Le metteur en scène, c’est,
bien sûr, le Je lui-même, mais le visage des personnages,
l’intrigue comme le dénouement lui sont voilés. »
Joyce Mac Dougall, Théâtres du Je

« Rappelons la remarque de Harry Sullivan, nous sommes
tous, plus que n’importe quoi d’autre, simplement
des humains. C’est ce qui se vérifie dans l’exploration
des sentiments contre-transférentiels que l’on (le psychothérapeute)
découvre en soi en travaillant avec les
patients. »
Harold Searles, le contre transfert
Qui fait quoi à qui ? Les transferts - Cordel n°52
Illustration : Hélène Maurel
Cordel écrit par Elisabeth Maurel-Arrighi, psychanalyste, Collectif Outils du soin,
partage de savoirs d’accès libre. Janvier 2018
Cordel n°52 www.outilsdusoin.fr
En lien avec les vidéos Psychanalyse et marionnettes sur la répétition épisodes 15 et 16, ainsi que les épisodes sur le transfert épisodes 12,13, et 14 élaborés par Elisabeth Maurel-Arrighi avec Rochelle Monnier-Moricet
voir sur Youtube Psychanalyse et marionnettes ou sur le site Outilsdusoin.fr
cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés .
cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés .

Quand la grammaire
aide à s’y retrouver


Il est utile de savoir retourner la formulation grammaticale. Par exemple si quelqu’un dit qu’il a des idées suicidaires, il peut être très aidant de formuler qu’il se sent en danger de mort, et même qu’il a probablement été mis en danger de mort autrefois.
Alors là, cela change tout. La question devient : « Qui a fait un déni d’existence à qui ? » « Qui a voulu réduire qui à néant ? ». Quelqu’un autrefois a pu refuser le droit à l’existence à un autre, et plus tard cet autre ne sait pas qu’il a subi cette tentative d’assassinat psychique et la met en scène avec des idées de suicide. Formuler ainsi permet à celui qui a subi cette tentative d’assassinat de redevenir acteur de son droit légitime à l’existence.

Ce qui rend les choses encore plus complexes, c’est que la personne qui a subi cette tentative d’assassinat est souvent prise dans la répétition, et, à son insu, peut devenir complice d’autres interlocuteurs maltraitants. Elle peut même induire des scénarios où elle est à nouveau maltraitée, pour mettre en scène la maltraitance passée, avec le risque d’aggraver sa souffrance.

La question qui fait sésame


En séance ou dans la vie, quand il se passe quelque chose qu’on ne comprend pas, il est utile de se poser pour réfléchir et de se demander « qui fait quoi à qui ? » C’est une question ouverte, sans accusation, sans a priori. Où chacun peut réfléchir, imaginer l’ancien théâtre de son enfance, tous ses personnages. On peut imaginer que les acteurs d’autrefois ont échangé leurs costumes, leurs rôles. A notre insu, on a même pu laisser ces acteurs donner leurs costumes ou leurs rôles à des membres actuels de notre entourage (conjoint, enfant, collègue..)
Dans le théâtre des transferts, le psychanalyste devient le préposé aux costumes, celui qui en prend soin, enlève la poussière. Celui aussi qui met un projecteur dessus, les devine sous d’autres costumes, voire les range dans des armoires. On n’est pas obligé de se promener avec quelqu’un qui endosse un costume de dictateur, ou n’est pas obligé de le porter soi-même.

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