Je viens de terminer « La cache » de Christophe BOLTANSKI. Il y parle de ses grands parents, de son père et des ses oncles (moins), de la famille BOLTANSKI donc et de la façon dont elle a traversé la secondes guerre mondiale. Il parle aussi d’avant la guerre et d’après la guerre, mais moins, et surtout ce qui m’intéresse c’est cette traversée de la guerre.
Cette traversée de la guerre est proprement effrayante. Le grand-père chef de clinique dans un hôpital parisien est insulté (« sale juif ») puis interdit d’exercer par les lois de Vichy. Il va chercher son « étoile jaune ». On craint les voisins (et certains sont à craindre). La solution trouvée est de construire dans l’appartement une « cache », minuscule, où le grand-père vivra 20 mois. Dans un isolement social total (c’est une condition de sa survie)
De cette frayeur, dans cette frayeur, un groupe familial pathologiquement fusionnel se constitue. Après la guerre – le dernier fils nait à la Libération - tout le monde dort dans la même pièce. Les enfants sont à peine scolarisés. On est au « chaud », ensemble, pour se protéger d’un monde extérieur dont on doit tout craindre.
Et je me suis fait cette réflexion. Mes parents aussi ont traversé la guerre. Ils n’avaient ni le même âge, ni la même situation sociale. Mais ils ont franchi clandestinement la ligne de démarcation. Sont aller se réfugier à St Etienne où ils ne connaissaient personne. Mon grand-père a dû se cacher dans un hôpital psychiatrique, puis fuir lui aussi à St Etienne. On m’a raconté tout cela quand j’étais enfant. C’était grave. On ne parlait pas de cela comme d’une plaisanterie, mais ce n’était pas « effrayant ». On ne m’a pas enseigné que l’on pouvait tout craindre des autres, mais qu’au contraire, la traversée de la guerre par mes parents montrait que l’on pouvait tout espérer des autres. L’institutrice retraitée qui aide à traverser la ligne de démarcation, les syndicalistes qui accueillent à St Etienne. Et quel accueil : des papiers (des « vrais faux » papiers) un travail, un logement, un travail à la mine pour le petit frère de Maman qui échappe ainsi au STO, l’officier issu de la résistance qui protège Papa pendant la « campagne de France »… Oui il y a bien la voisine à Paris qui a dénoncé le grand-père pour récupérer son appartement. Mais il y a le policier qui convoque Papa à Paris en 1941 et qui, en le raccompagnant vers la porte, lui glisse : « si j’étais vous je quitterais Paris ».
Il y a eu la crainte, la peur, le danger. Mais ils étaient amoureux (ils se marient en décembre 1941, ils sont jeunes (ils vont à St Etienne, en passant par Poitiers, à vélo), ils ont leur premier enfant (ma Grande sœur) en 1943, et surtout ils sont toujours entourés par des gens chaleureux, attentifs.
C’était la même guerre, c’était le même danger (un peu moindre pour mes parents ??). Ce n’est pas la même histoire.
La « personnalité » de Papa joue sans doute un rôle ici. Avant guerre il vit intensément le mouvement des Auberges de Jeunesse. Il s’y fait des copains que la lutte commune au moment du Front Populaire renforce… Il y a sans doute plein d’explications à la différence de récit. En me trouvant « nez à nez » avec cette différence dans les récits familiaux j’ai réalisé (mais, d’une certaine façon, je le savais déjà) la chance que j’ai eu de grandir dans ce récit là.
Texte écrit par Pierre Volovitch, il y a deux mois, proposé aujourd’hui en contrepoint du récit de Clément sur la vie de sa famille pendant la guerre.d’Espagne et leur exode en France.
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