Médicaments : en finir avec les brevets-forteresses ! - Cordel N°45
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Médicaments : en finir avec les brevets-forteresses !
Les industries du médicament prennent prétexte du coût élevé de la recherche pour construire des forteresses les protégeant de leurs concurrents et leur permettant ainsi de vendre leurs produits à des prix très importants. Ces forteresses, ce sont les brevets. Ils garantissent à qui les détiennent d’être seuls à pouvoir fabriquer et vendre les médicaments correspondants pendant vingt ans. Pour être validé par l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) ou par l’OEB (Office européen des brevets), un brevet doit concerner un objet (ou procédé) nouveau, témoigner d’une capacité inventive, être précisément décrit pour pouvoir être reproduit dans l’avenir.
L’usage du brevet pour les médicaments est récent. C’est en 1940, aux Etats-Unis, que le brevet est utilisé pour la première fois par l’industrie pharmaceutique. En 1950, avec les antibiotiques, il devient courant. En 1980, la Cour suprême des États-Unis, par l’arrêt Chakrabarty, autorise le brevet pour fabriquer une levure génétiquement modifiée pour dégrader les hydrocarbures. Les brevets s’appliquent maintenant aussi au vivant, comme des souris rendues sensibles au cancer, ou des semences modifiées pour les rendre stériles.
L’industrie justifie la nécessité de protéger ses productions par des brevets en invoquant le coût élevé de la recherche et du développement (R&D) des nouveaux médicaments et la nécessité de stimuler financièrement l’innovation. Le droit de propriété ainsi créé permet à son propriétaire d’entamer des actions en justice qui lui coûtent (mais lui rapporteront !) des millions de $ pour défendre son monopole contre les concurrents. Veiller à ses brevets n’est donc à la portée que de grandes firmes.
Que valent les arguments avancés pour défendre les brevets ? Le coût de recherche ? Quand l’industrie prétend consacrer plusieurs centaines de millions de $ pour développer un médicament, des chercheurs évaluent ce coût à vingt fois moins. La stimulation de l’innovation ? Le plus souvent c’est la recherche publique qui trouve les nouvelles molécules et non l’industrie, alors que des aides publiques directes sont accordées à la recherche privée. Très souvent, au lieu de favoriser l’innovation, le brevet sert à stériliser des champs de recherche qui pourraient tenter des concurrents potentiels. On devrait plutôt s’interroger sur le manque de moyens accordés à la recherche publique, qui la force à quémander des contrats à l’industrie, ou encore à délocaliser ses chercheurs dans de petites structures (start-ups) dont les brevets seront ensuite bradés à l’industrie.
Concernant les innovations, l’industrie oriente ses recherches en fonction des profits attendus et non des besoins de santé publique. La stimulation financière de l’innovation par les brevets joue ici, mais à mauvais escient. Ainsi en est-il du paludisme, responsable de millions de morts, mais toujours négligé par les multinationales, en raison du peu de rentabilité de la recherche dans les pays sujets aux maladies tropicales.
Certains industriels ont cru pouvoir être quittes de leurs obligations en établissant des listes de pays à faibles revenus à qui ils faisaient d’importantes réductions de coût pour l’usage de leurs brevets. En pratique, ces concessions ne coûtent guère aux industriels titulaires des brevets puisqu’ils les compensent par des prix exorbitants pratiqués dans les pays censés avoir les moyens de les payer. Le cas de l’hépatite C est instructif : le monopole apporté par le brevet au dernier médicament sorti pour traiter cette maladie se traduit par un prix de vente à notre Sécurité sociale de 41 000 € pour une personne traitée alors que son coût de fabrication est évalué à quelque 200 $.
Pour contrer la dérive des prix des médicaments, favorisée par les brevets, les agences belge et hollandaise d’évaluation ont bâti quatre scénarios pour en sortir, à plus ou moins long terme : (*)
1/ Des partenariats publics-privés axés sur les besoins : les pouvoirs publics passent contrat avec les industriels pour développer des médicaments utiles à la santé publique, à des prix et des volumes déterminés.
2/ Le développement de médicaments dans un système parallèle : une filière publique de recherche et de production de médicaments serait fondée, éventuellement en concurrence avec le secteur privé.
3/ Un Fonds public européen repérerait et rachèterait les brevets de molécules en cours de développement. Il ferait fabriquer les médicaments correspondants dans des filières industrielles existantes ou à créer.
4/ Un bien public de A à Z : les priorités de recherche et développement sont définies publiquement et les brevets sont supprimés. L’industrie n’est plus que sous-traitante pour la fabrication des médicaments et leur mise en marché.
(*) Scénarios signalés par la revue Prescrire, décembre 2016, Tome 36 N°398, Page 939
Citations |
Cordel écrit par le Collectif Outils du soin, partage de savoirs d’accès libre. Février 2017 www.outilsdusoin.fr. cordel N°45 | cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés |
Court-circuiter le brevet par la « licence d’office » : le cas de l’hépatite C Suite à la synthèse d’une molécule active contre l’hépatite C par une équipe de la recherche publique de Cardiff, la start-up Pharmasset a mis au point l’adjuvant autorisant cette molécule à pénétrer dans les cellules hépatiques et à exprimer ainsi son potentiel curatif. Le labo GILEAD a racheté Pharmasset pour 10.5 milliards de $, achat qu’il a amorti sur un an grâce au prix de vente élevé de son produit sous brevet. C’est ce brevet qu’a attaqué l’association Médecins du Monde devant l’Office européen des brevets. L’OEB n’a répondu que partiellement en réduisant le champ du brevet au seul Sofosbuvir alors que sa version initiale l’étendait à de vastes combinaisons de molécules visant à gêner l’apparition de médicaments concurrents. Médecins du monde a répliqué en réclamant au Gouvernement de mettre en œuvre une « licence d’office ». Cela permettrait de passer outre au brevet, et de faire produire par un génériqueur ou d’importer le Sofosbuvir, en cas d’échec des négociations avec GILEAD pour faire baisser le prix. L’enjeu est de taille : cela représenterait pour la Sécurité sociale une économie de 5 milliards d’€. |
Se passer des brevets : la recherche open-source (c’est-à-dire librement diffusable) Le modèle actuel de développement des médicaments, avec une place centrale des monopoles des firmes pharmaceutiques n’est pas le seul possible. Des alternatives existent à ce modèle actuellement majoritaire. Par exemple, l’Open Source Drug Discovery est un programme de recherche collaborative visant à développer de nouveaux médicaments contre les maladies tropicales, négligées par la recherche des entreprises et pays occidentaux car peu rentables (les personnes pouvant en bénéficier n’ayant que peu de ressources financières). Ses règles interdisent tout dépôt de brevet et favorisent les échanges entre équipes de recherche. Cette collaboration regroupant plus de 7900 participants issus de 130 pays a permis le développement d’un médicament contre la tuberculose, actuellement en phase d’essai. Et cela sans passer par les brevets ni les firmes pharmaceutiques ! |
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