Vous faites quoi comme métier Terrassier ou Ministre ?
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La ministre de la santé a annoncé début octobre que le "trou de la Sécu" c’était terminé : le déficit du régime général de la Sécurité sociale serait quasiment résorbé...mais sur quelles dépenses s’est fait ce "terrassement" ?
La ministre des affaires sociales est tout contente de l’annoncer. Elle a bouché le « trou de la sécu ». Le déficit du Régime Général de la Sécurité sociale était de 17 milliards en 2001, il sera de 3 milliards en 2016 [1].
Donc ne mégotons pas, c’est très bien. Mais vous faites quoi comme métier Madame Terrassier(e) ou Ministre ? Le métier de terrassier est un métier très utile. La question n’est pas là. Mais est-ce la même chose qu’un métier de ministre ? D’une ministre on pourrait attendre qu’elle réponde à deux questions :
Comment bouche-t-elle le « trou » ?
et, d’une certaine façon surtout :
pourquoi bouche-t-elle ce « trou », avec quel « projet » ?
Comment boucher le « trou » de la sécu ?
La question m’a été posée de façon plus grossière : Fin du « trou » : Qui en a payé le prix ?
Il y a trois moyens de boucher un « trou » en matière de Sécu.
Renvoyer une dépense sur un autre financeur.
La protection sociale c’est une multitude de Caisses et de Régimes : Le Régime général et ses trois caisses nationales pour la vieillesse, la maladie et la famille. Le Régime de Sécurité sociales des agriculteurs et celui des indépendants. La retraite et les prestations familiales des fonctionnaires. L’action sociale de l’Etat et des collectivités locales (Fond de Solidarité Vieillesse, CMU, RSA…. L’Assurance Chômage). Les couvertures sociales Complémentaires…
Entre ces différentes Caisses et différents Régimes l’histoire a multiplié les transferts, les compensations…et, pour que ce soit encore plus joli, ces transferts et compensations ne sont pas stables dans le temps. Ils peuvent changer d’une année sur l’autre.
Le recul de l’âge de la retraite diminue les dépenses de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse du Régime général (et ça bouche le « trou »). Mais si les salariés âgés attendent de toucher leur retraite en restant au chômage cela augmente les dépenses de l’Assurance chômage. Il y a eu transfert d’une dépense d’un Régime social à un autre Régime social.
Le recul de la prise en charge par l’Assurance maladie de base fait diminuer les dépenses de la Caisse Nationale d’Assurance maladie (et ça bouche le « trou »). Mais si les dépenses sont alors prises en charge par les « Complémentaires » il y a transfert d’une dépense d’une Régimes social solidaire à un Régime social au financement non-solidaire.
Diminuer les prestations.
L’exemple le plus connu : Ne plus indexer les retraites sur les salaires des actifs mais sur les prix. En matière de retraites la « désindexation » peut rapporter plusieurs milliards.
Mais il y a aussi des mesures plus discrètes. Le report des dates de revalorisation (du 1er avril au 1er octobre, puis au 1er décembre...). Plus subtil. Et c’est ce qui se passe depuis plusieurs années pour les prestations familiales. Il y a eu une multitude de petites mesures. Prendre discrètement une mesure d’économie répartie sur beaucoup de monde, et donc pas trop douloureuse, et afficher une mesure ciblée sur les plus pauvres. Tu affiches « plus de solidarité » ET tu diminues le caractère universel des prestations.
Réduire les coûts.
Donner toute leur place aux médicaments « génériques », moins chers que les médicaments « de marque », et donc s’attaquer (un peu) au profit de l’industrie pharmaceutique ne pose pas de grosses questions.
C’est plus compliqué quand il s’agit de la réduction des « coûts hospitaliers ». Ne pas revaloriser les salaires des soignants hospitaliers, soumettre le financement de l’hôpital à des systèmes de tarification rigides (et discutables) c’est sans doute un moyen de réduire les « coûts ». Avec quelles répercussions sur les conditions de travail des soignants, et donc sur la qualité du soin [2] ?
Organiser une réduction du personnel dans les organismes de Sécurité sociale est aussi un moyen de réduire les coûts. A partir de quel moment ces réductions d’effectifs ne deviennent-elles pas un problème pour l’accueil de personnes, et donc pour l’accès aux droits [3] ?
Ce qui serait évidemment très intéressant c’est de chiffrer tout cela.
De répondre de façon précise à la question « qui a payé le prix » de la réduction du « trou ».
On saurait alors comment a été comblé le « trou ». Parce qu’il y a ici une vraie question démocratique. Qui maitrise, connaît, l’univers opaques des transferts financiers entre Régimes ? Qui veille à une certaine cohérence entre les différents mesures prises (ainsi quelle cohérence entre le « ticket modérateur », le « forfait hospitalier », les « franchises » médicales ?
Combler le « trou » c’est bien. Savoir comment on l’a fait c’est mieux. Et une fois que l’on sait « comment », soumettre ce savoir à une délibération publique ce serait encore mieux.
Pourquoi boucher le « trou » ? Dit autrement quel est le projet ?
Il y a, me semble-t-il, au moins 4 questions centrales posées à la Protection sociale.
(Au moins) Deux questions du côté des retraites.
Quel accès à l’emploi pour les salariés âgés ? Si reculer l’âge de la retraite c’est multiplier le nombre des chômeurs âgés. Où est le gain social ?
Quel lien retraite/héritage ? Les retraites ont été mises en place pour assurer un revenu aux personnes âgées qui n’avaient pas de patrimoine. Heureusement elles ont été étendues à l’ensemble des salariés. Aujourd’hui la retraite d’un cadre lui permet de ne pas toucher à son patrimoine. Ses enfants hériteront d’un patrimoine (individuel) préservé grâce au mécanisme (collectif) de la retraite [4]. Avec la dépendance la question de complexifie. Les retraites vont diminuer.
Une question (au moins) du côté de la maladie.
Comment réduire les inégalités face à la santé ? Les chiffres sont tout à fait stables. L’espérance de vie d’un cadre est supérieure de 7 ans à celle d’un ouvrier. Pour TOUTES les maladies plus on descend dans l’échelle sociale plus elles apparaissent tôt, plus elles prennent des formes aigües, plus elles génèrent de handicap et de décès. Nous avons socialisé la dépense de santé [5]. Quand utiliserons-nous cette socialisation de la dépense pour passer à une réduction des inégalités face à la santé ?
Une question (au moins) du côté de la famille.
Sortir les familles monoparentales de la pauvreté ?
Nous affirmons hautement le principe de l’égalité homme/femme. La société a renoncé, et c’est une très bonne nouvelle, à imposer une forme unique de vie familiale. Reste qu’aujourd’hui 26% des enfants vivant dans des familles monoparentales vivent dans des familles « pauvres » alors que ce taux passe à 6% dans les autres familles. Comment transformer nos politiques familiales [6] pour commencer à porter remède à ce problème ?
Car la protection sociale n’est pas qu’une affaire de « trou ». C’est aussi (on est un peu triste d’avoir à le redire) une affaire de « projet ».
Madame la ministre le travail de terrassement est fait. Et ce n’était sans doute pas simple. Si on passait au travail politique ?
Cet article a donné lieu à une tribune sur le site d’Alternatives économiques le 10 octobre 2016, sous le titre : Combler le trou de la sécu, pour quel projet ? http://www.alterecoplus.fr/combler-trou-de-secu-projet/00012298
[1] En se rappelant que le trou/solde est toujours resté relativement faible au regard du total des dépenses. 17 milliards de déficit en 2011 pour plus de 380 milliards de dépenses.
[2] Toujours difficile à évaluer
[3] On mesure trop mal la question du « non-recours » aux droits, qui touche principalement les catégories sociales défavorisées. Mais on sait qu’il existe, et qu’il peut-être très important
[4] Avec la « dépendance » la question se complexifie. Les héritiers bénéficieront d’un héritage non écorné si leurs parents ont eu la décence de mourir avant d’être dépendant. Si la dépendance dure, le niveau des retraites diminuant, il faudra prendre sur le patrimoine pour financer…
[5] Sans doute pas suffisamment, mais très fortement.
[6] Et également aussi agir sur l’accès à l’emploi des mères de famille monoparentales, agir sur les salaires des femmes….
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