Votre prix sera le mien ! Ou encore : la leçon d’économie donnée par l’élève au maître…
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Supposez que vous alliez acheter vos légumes au marché. Là, vous repérez un jeune producteur de bio. Vous le voyez pour la première fois, vous en êtes sûr. Il est manifestement débutant, virevolte autour de son étal, débordant de stress et d’adrénaline : ce doit être sa première confrontation avec le réel, le regard porté par les autres sur son utopie…
Supposons, de surcroît – un miracle toujours possible, pour qui a la foi – que vous-même, par exemple, ayez produit des fruits, dans une autre vie. Vous avez donc traversé la même épreuve. Mais vous avez survécu, appris. Vous allez pouvoir aider.
Vous vous approchez donc, jetez un coup d’œil professionnel sur la modeste petite table : trois, quatre cagettes dépareillées, des tomates de toutes tailles, maturités et même, couleurs. Des concombres, les uns striés, poilus, manifestement exotiques, les autres ordinaires, mais dont la taille va du cornichon à la courge. Pas d’étiquettes pour guider le chaland. Vous allez pouvoir donner la mesure de vos talents.
– Je peux vous poser une question ?
– Mais bien sûr
– Est-ce exprès que vous mélangez dans vos cagettes vos tomates mûres et pas mûres, les rouges avec les vertes, les petites et les grosses ?
– Non, je n’y avais pas pensé !
Et, séance tenante, notre commerçant débutant se met à trier ses produits, docilement. Vous vous rengorgez, intérieurement : la leçon de marketing élémentaire n’est pas échue à un ingrat ! « Poursuivons notre avantage », vous dites-vous, in petto.
– Pendant que vous y êtes, évitez donc d’afficher des prix moyens, marquez clairement la différence entre vos catégories de produits. Par exemple, un prix d’appel pour vos tomates un peu trop mûres, un plus élevé pour les plus fermes ou colorées. D’ailleurs, où sont vos étiquettes, je ne les vois pas ?
Et là, surprise de votre existence :
– Mais, je n’en ai pas !
Incrédule :
– Vous n’en avez-pas ???
– Non, les gens donnent ce qu’ils veulent !
Stupéfait :
– Ce qu’ils veulent ?
Vous croyez avoir mal entendu :
– Ce qu’ils veulent ?
– Oui, ce qu’ils veulent. Le plus souvent, ils me donnent plus que ce que j’aurais osé demander !!!
Vous comprenez soudain que votre « leçon » de marketing est à côté de la plaque, vous naviguez sur le Zambèze ou en Amazonie, chez Lévy-Strauss certainement, bref, n’importe où sauf en France… Vous quittez votre « élève », avec un sourire mi-figue mi-raisin, non sans qu’il vous ait offert, pas rancunier, une de ses plus belles tomates… que vous avez insisté pour payer, tout de même et, librement, deux fois le prix affiché par ses concurrents !
Rentré chez vous, vous méditez sur un monde dans lequel la valeur d’usage aurait remplacé la valeur d’échange.
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