Prendre en charge sa maladie - Cordel N°36

mercredi 7 septembre 2016
par  Lucien Farhi
popularité : 5%

Prendre en charge sa maladie

La maladie chronique
Une maladie chronique, c’est une maladie avec laquelle on vit en permanence, que l’on ne sait pas guérir complètement, qui demande un accompagnement spécifique de la part du soignant et, en même temps, une attitude du patient adaptée à l’état d’un corps qui ne lui obéit plus.
 
L’objectif de la plupart des soignants est, dans ces conditions, d’obtenir du malade une stricte observation du traitement qui lui a été prescrit (ce qu’on appelle « l’observance  ». A l’extrême, on se situe dans un jeu de rôles, actif (soignant)/passif (patient). En poussant la caricature, ce qui est attendu du patient est une obéissance aveugle (on parle alors de « compliance  », c’est-à-dire de conformité entière du patient aux traitements prescrits, indépendamment de toute adhésion personnelle). Le soignant détient le savoir, donc le pouvoir.

Mais le fait que la maladie soit chronique introduit une paille dans ce beau mécanisme. Le soignant ne peut affirmer que sa prescription sera efficace, puisque, par définition, on ne guérit pas d’une maladie chronique. On peut en retarder les effets, les atténuer, introduire plus de confort dans la vie du patient, mais guère plus. Et, pour un peu plus noircir le tableau, si modeste soit l’ambition des traitements correspondants, ils ne sont pas à l’abri d’effets secondaires pernicieux.

Le résultat de cette situation est mesurable : 70% des patients chroniques ne respecteraient pas strictement les traitements qui leur sont prescrits. On ne peut donc tabler sur une obéissance passive généralisée pour obtenir une meilleure observance globale. De là est né le concept de l’ETP (l’Education thérapeutique du patient).
 

L’ETP ou Education thérapeutique du patient part de l’idée qu’il faut, pour obtenir une meilleure « observance » par le patient du traitement qui lui a été prescrit – prises de médicaments, analyses, exercices, etc. – que ledit patient « prenne en charge sa maladie ». Pour cela, des programmes sont conçus, dans le but, surtout, de donner aux patients les informations techniques qui pourraient les motiver pour mieux suivre les traitements. On leur explique les raisons de leur maladie, leurs conséquences, son évolution possible, le mode d’action des traitements, l’efficacité à en attendre, etc. (souvent sans parler des effets indésirables possibles). Le traitement proposé est réputé le meilleur vu l’état de la science médicale du moment. On imagine que la connaissance ainsi transmise au patient lui permettra de passer d’une obéissance non assurée à une acceptation raisonnée.
Mais nulle part n’est remise en cause l’idée de départ que sous-entend la fameuse « prise en charge de sa maladie par le patient lui-même », idée qui se résume à rechercher l’adhésion, par la persuasion, à une démarche que l’on ne pense pas changer, même après discussion.

 
L’ETS : une autre vision de la prise en charge de sa maladie par le patient.
Et si « prendre en charge sa maladie » prenait un autre sens ? Celui, par exemple, où, de l’écoute du patient par son soignant, pourrait jaillir une parole révélatrice issue du ressenti du malade face à sa maladie. Comment la vit-il au quotidien ? De quelle manière a-t-il le sentiment de participer ou non à la lutte contre elle ? Quels facteurs lui semblent y concourir, ou au contraire, s’y opposer ? Etc. C’est alors que l’on pourrait parler non plus seulement d’ETP mais d’ETS (Education thérapeutique du soignant). On pourrait imaginer ainsi un dialogue s’engageant entre soignants et soignés, avec, même, la confrontation entre des visions différentes de patients différents. Et, pourquoi pas, aboutir, en fin de parcours, à un changement de traitements au statut réputé pourtant intouchable au départ.

Et, pour prendre les choses à leur racine, le b,a, ba de l’ETS, pour le soignant ne devrait-il pas commencer par se référer à l’intitulé de l’un de nos cordels : « Savoir se taire ?! » Ou - traduction libre - « savoir écouter, désirer apprendre »…

On ne peut guérir la partie sans soigner le tout. On ne doit pas soigner le corps séparé de l’âme, et pour que l’esprit et le corps retrouvent la santé, il faut commencer par soigner l’âme. Car, c’est une erreur fondamentale des médecins d’aujourd’hui : séparer dès l’abord l’âme et le corps.
Platon dans les « Charmides »

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
Vains et peu sages médecins ;
Vous ne pouvez guérir par vos grands mots latins
La douleur qui me désespère :
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère
Molière Le malade imaginaire

C’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds ; un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croirait du crime à les vouloir examiner, qui ne voit rien d’obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile, et qui, avec une impétuosité de prévention, une raideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose.
Molière Le malade imaginaire
Cordel écrit par Lucien Farhi
Collectif Outils du soin, partage de savoirs d’accès libre. Août 2016 www.outilsdusoin.fr. cordel N°36
cordel :petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés
Et si l’on parlait Kiné ?
Qui voit-on régulièrement dans l’intervalle de 5 à 6 mois qui sépare deux visites de contrôle d’une maladie chronique ? Sa kiné, bien évidemment !
Pas une kiné qui reçoit ses patients à la chaîne, simultanément, chacun dans une petite pièce. Des patients qu’on laisse faire chacun ses exercices tout seul, avec ou sans machine – ou même, compter les mouches, s’il préfère – pendant que l’on s’occupe simultanément d’un second et, pourquoi pas, d’un troisième ?
Non, une kiné pleine d’allant, qui vous prodigue sa présence entière le temps convenu, qui vous explique, vous fait découvrir, vous encourage, vous félicite…
Une kiné qui vous écoute. Une kiné qu’à votre tour, vous interrogez, son expérience, son métier...
Une kiné qui vous donnera l’envie de travailler, rentré chez vous, lui montrer ainsi qu’elle n’a pas complètement perdu son temps en s’occupant de vous.
Une kiné qui, aux jours de douleur, vous réinsufflera l’énergie de lutter.
Paroles de kiné :
Vous ne pouvez pas vous améliorer. Mais vous pouvez aller jusqu’au bout de vos possibilités. Vous en êtes loin. Quand vous vous en approcherez, vous aurez progressé.
Ce que j’attends de mon médecin :
Qu’il ne m’engueule pas si je n’ai pas pris régulièrement les médocs prescrits
Qu’il essaie, au contraire, d’en comprendre la raison
Qu’il comprenne que cette négligence apparente peut cacher une conduite délibérée.
Que cette conduite est fondée à son tour sur des arguments qu’il faut mettre au jour.
Qu’il convient alors de les examiner, non pour systématiquement les contrer, mais aussi et surtout pour en évaluer, sans préjugé, la pertinence.
Que dans le silence de son cabinet, il les pèse. Qu’il s’en serve pour interroger d’autres patients, d’autres collègues.
Qu’il revienne vers moi pour que nous en parlions.
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Prendre en charge sa maladie - Cordel N°36

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On obtient un petit fascicule que l’on peut feuilleter et dont la page de couverture est constituée par l’image


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Commentaires

samedi 17 septembre 2016 à 09h12

C’est tout de même vrai, que c’est délicat de parler de co apprentissage, lorsque dès le départ , la première étape du contrat de l’ETP consiste à demander, à l’un d’accepter d’apprendre ( le patient) , l’autre d’accepter de lâcher ses objectifs. Alors peut être qu’on peut rêver , effectivement,qu’un jour dans le silence de son cabinet , le médecin médite vraiment sur l’avènement de l’ ETS.

vendredi 16 septembre 2016 à 07h25

Bonjour

Je vous remercie d’avoir pris la peine de me répondre. Croyez bien que j’y suis extrêmement sensible.

Je conçois que vous ayez été choqué par le raccourci que j’ai pris en écrivant que les programmes de l’ETP étaient conçus, dans le but, surtout, de donner aux patients les informations techniques qui pourraient les motiver pour mieux suivre les traitements. Je vous donne acte volontiers que le « surtout », que j’ai utilisé ici est insuffisant pour rendre compte de la totalité des ambitions qui en sont à la base.

Mais je vais aller à ce qui est pour moi l’essentiel. Vous utilisez, pour caractériser l’ETP, le même terme que la HAS, pour évoquer une « négociation » dans laquelle le patient accepte d’apprendre et le soignant de lâcher... C’est là tout le débat. Car l’asymétrie fondamentale demeure, entre l’apprenant d’une part et celui, d’autre part, qui n’a rien (ou peu de choses) à apprendre mais une simple concession à faire. Où donc a-t-on vu que le soignant ait à apprendre de son patient ? Toute la question est là. En l’occurrence, l’appellation de l’Education thérapeutique du patient dit explicitement ce qu’elle veut dire.

Et c’est bien un peu par une petite provocation, que j’ai appelé par symétrie, à une Education thérapeutique du soignant !

Permettez-moi, pour terminer, de vous engager à relire le petit pavé figurant en fin de cordel et intitulé : « Ce que j’attends de mon médecin ». Peut-être y a-t-il quelque chose d’utilisable à en tirer, quant à un début du contenu concret à donner à cette formule ?

Bien à vous

Lucien Farhi

mercredi 14 septembre 2016 à 04h57

Bonjour,
Je suis médecin généraliste, je pratique l’ETP dans un réseau départementale et je suis formateur en ETP. Je suis assez surpris par votre définition de l’ETP... L’avez vous déjà pratiquée M. Farhi ?
L’ETP est par définition les moyens mis en oeuvre pour développer des compétences chez les patients et leur permettre d’être plus autonome et d’avoir une meilleure qualité de vie avec la maladie (HAS, Loi HPST 2009).
La notion de compétence est dissociée de la seule connaissance, elle englobe également les savoir faire et les savoir être avec la maladie. Permettre au patient de développer ses capacités au cours des séance d’ETP lui permet de mieux adapter sa maladie à sa vie quotidienne, et de plus, je le constate à chaque fois, de vivre avec beaucoup mois d’angoisse. L’ETP n’est pas vraiment basée sur l’accumulation de connaissances comme vous le décrivez... mais plutôt sur la possibilité d’émergence du sujet.
L’ETP comprend une première étape où le soignant rencontre le patient, où l’écoute active est au coeur : c’est le diagnostic éducatif, qui est suivi d’une négociation entre les deux personnes : l’un accepte d’apprendre (c’est le patient), l’autre accepte de lâcher ses objectifs théoriques (c’est le soignant) pour aller vers le fonctionnement souhaitable pour le patient, et non vers le fonctionnement idéal des recommandations médicales.
Au cours des séances d’ETP, l’utilisation d’une pédagogie constructiviste, la pris en compte des représentations de chacun sur la maladie permet un véritable espace d’expression aux personnes atteintes de maladies chroniques...
M. Farhi, l’"ETS" que vous appelez de vos voeux est effectivement très intéressante. Bonne nouvelle, elle existe déjà. Mais elle ne s’appelle encore qu’ETP, avec toutes les critiques que l’on peut effectivement faire sur cette appellation.

Là où je vous rejoins cependant, c’est qu’effectivement, les intentions de l’ETP doivent clarifiées. Trop de soignants n’y voient, hélas, qu’un outil de manipulation qui va leur permettre miraculeusement de venir à bout des "patients récalcitrants"... Merci donc de promouvoir dans votre cordel les valeurs que nous mettons en pratique derrière notre idée de l’éducation thérapeutique : rencontre des personnes, mise en retrait du soignant (=savoir se taire), prise en compte du quotidien avec la maladie, rencontre des savoirs profanes et des savoirs théoriques et co-apprentissage réciproque entre soignants et patients.

Merci de votre lecture,
Cordialement.

Site web : CLEMENT LE GLATIN

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