Mais qu’est-ce que le miracle ?
Traditionnellement, le miracle est constitué de deux composantes :
Un phénomène exceptionnel, prodigieux, improbable, à connotation positive.
L’attribution de ce phénomène à un facteur surnaturel.
La première composante est un fait : ce fait est expertisable par des scientifiques. Un accord par consensus est possible à son sujet. Cette expertise est, par exemple, celle mise en place par l’Eglise à Lourdes, avec ses diverses structures médicales.
C’est sur la seconde composante du miracle qu’opinions et comportements divergent. Les croyants attribuent les miracles à une intervention divine. Les agnostiques y voient seulement l’absence actuelle d’explication scientifique, due au niveau des connaissances de l’époque. Le corps humain, du fait de son opacité relative, demeure le champ d’élection du miracle.
En tant que jeune soignant affrontant les affres de l’installation, vous ferez peut-être face, un jour ou l’autre, à cette situation embarrassante : comment réagir, en présence d’un patient tétraplégique que vous soignez depuis des mois si ce n’est des an-nées et qui, au retour d’un pèlerinage à Lourdes, revient vous voir, sans l’aide de ses béquilles, liquidées à l’occasion du dernier vide-greniers.

Avant le pèlerinage : ce qu’il ne faut pas faire
Hausser dédaigneusement les épaules quand votre patient vous aura informé de son intention de solliciter, qui ses saints, qui ses prophètes, de vous donner un petit coup de main pour soulager vos épaules du poids que son fardeau fait peser sur elles. Car son geste part d’un bon sentiment : la charité que tout patient et simultanément croyant devrait manifester à l’égard d’un soignant incompétent, non dans le domaine scientifique qui est le sien, mais dans le domaine spirituel.
Au contraire, encouragez-le, constituez si c’est votre tasse de thé un stock de Morceaux Choisis de la Bible, du Coran, de l’Iliade, de l’Odyssée et autres épopées de Gilgamesh, que vous lui offrirez en guise de viatique, selon son inclination.
Un esprit saint dans un corps malade.
Souvenez-vous que l’esprit malade dans un corps malade n’est pas la seule hypothèse pouvant caractériser vos patients. Pour-quoi pas, simultanément pour certains, un esprit saint dans un corps malade ? Evitez les simplifications abusives et les opinions définitives. Votre savoir d’esprit sain dans un corps sain ne s’appuie-t-il pas, lui-même, sur des béquilles dissimulées dont, con-trairement à votre patient, vous n’aurez jamais hélas, la chance de vous passer tout au long d’une vie professionnelle que l’on ne peut que vous souhaiter longue et la moins claudicante possible ? Ce qu’il convient de faire, au retour d’un pèlerinage réussi
Aider votre patient à revendre ses béquilles à un autre de vos clients, susceptible d’en faire usage prolongé ; un agnostique, par exemple.
Plus sérieusement, vous astreindre, dans le silence de votre cabinet, à méditer sur le statut du miracle : énigme aujourd’hui, fait scientifique demain, donc reproductible à volonté ? Ou réalité d’un monde définitivement hors de portée humaine ?
Militer pour l’inscription du miracle en tant que discipline à part entière de la médecine générale enseignée dans les Facultés : le miracle des guérisons inexpliquées, loin d’être l’apanage du religieux, s’affirmerait en effet statistiquement comparable en milieu hospitalier. Plus concrètement
La prévention étant une caractéristique majeure de la médecine générale, apprenez à détecter ce fameux esprit saint chez vos patients gravement atteints. Canaliser, accompagner leur démarche fait partie de vos attributions. Ne vous opposez pas au désir de pèlerinage miraculigène, mais, au contraire, accueillez-le avec empathie. On dit bien qu’il n’est pas nécessaire d’espé-rer pur entreprendre ni de réussir pour persévérer ? Or, un patient croyant, handicapé par les mêmes pathologies qu’un autre, vous fait un cadeau royal : non seulement il entreprend, mais, en plus, il espère !
N’allez tout de même pas jusqu’à placer vos excédents de trésorerie dans l’acquisition d’actions de compagnies de bus, ferries et autres avionneurs spécialisés dans le transport de pèlerins !
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