Les sourds nous apprennent la tolérance

lundi 7 décembre 2015
par  Jean Dagron
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Le 2 décembre 2015, Jean Dagron s’adresse à Dominique Gillot, sénatrice, qui lui remet la légion d’honneur pour son travail pour l’initiation et le développement des consultations médicales en langue des signes

Permettez moi, Madame la Ministre, de vous remercier de la décision politique que vous avez prise en 1998.
C’est-à-dire de soutenir la nécessité d’un dispositif spécifique à l’accès aux soins. Cela mérite d’être souligné et applaudi pour deux raisons.
D’abord nous vivons une époque de méfiance envers l’action politique, et vous nous avez démontré qu’une décision politique courageuse peut amener à des progrès sociaux.
Ensuite, deuxième raison, cela allait à contre-courant de l’attitude envers les sourds.

Le problème des sourds est d’être invisibles et quand ils sont un peu évoqués, ils doivent tout prouver. Au XIXème siècle, on demandait s’ils avaient une âme. Puis on a demandé s’ils avaient accès à l’abstraction, s’ils avaient une langue, une « vraie » culture. Dans les années 90, quand certains médecins évoquaient les sourds, ces derniers n’étaient que des oreilles défaillantes et ils ne pensaient pas du tout que les sourds avaient une sexualité. Il ne leur venait pas à l’esprit qu’ils risquaient le sida.

Votre décision politique était d’autant plus remarquable qu’elle a eu lieu alors qu’il n’y avait pas eu de recherches donc de preuve scientifique sur les sourds et les soins. Une recherche a eu lieu cette année. Les conclusions ont été publiées, hier, au Congrès sida Afrique.

Quelques mots sur le contexte.
L’objectif de l’OMS est l’éradication du sida dans 20 ans. L’épidémie régresse mais elle se concentre sur des populations vulnérables, les femmes jeunes de 16 à 25 ans et les handicapés. D’où cette recherche sur ces populations, où se sont déroulés des centaines d’entretiens avec des sourds. Ce qui en ressort est que la vulnérabilité essentielle des sourds et ce qui les distingue des autres populations vulnérables c’est l’absence complète de relation entre le système de soins et les sourds.

Il y a 20 ans nous n’avions pas la preuve que l’accès aux soins des sourds est parmi toutes leurs difficultés, d’enseignement, d’emploi... une question prioritaire. Nous n’avions pas de preuve mais nous avons agi.

Plusieurs personnes présentes ce soir en faisaient partie : Françoise Galiffet, Carole Bruneau, Claire Guarguier . D’autres ne sont pas là mais je ne les oublie pas : Bruno Moncelle, Michel Pardé. Des personnes nous ont ouvert la porte de l’institution : Louis Dessaint et le Professeur Herson.

Dans les années 90, les sourds français ont eu l’intelligence de revendiquer non en s’isolant dans un repli sur soi mais, au contraire, en s’associant avec des professionnels dans un plaidoyer commun. Dans les échanges avec le ministère, l’accès aux soins s’est révélé une affaire de santé publique. L’Etat est concerné. Son rôle est bien la sécurité sanitaire qui doit protéger toute la population, y compris la minorité silencieuse.

La liberté de parole prise par les sourds s’est prolongée, et amplifiée, dans une liberté de pensée. Cette liberté de pensée, ce travail de réflexion sourds-entendants a élaboré les conditions d’accès aux soins en 1998.
Rapidement :

  • - 1) Une personne en demande de soin doit pouvoir se servir du langage où elle est le plus à l’aise. L’exigence linguistique est du côté des soignants.
  • - 2) La confidentialité : la relation directe médecin patient n’oblige plus les sourds à faire appel à un proche en consultation.
  • - 3) Equipe mixte, sourd/entendant avec des critère de qualité : des soignants sourds, des interprètes diplômés etc.. .
  • - 4) Créer dans le service public des espaces biculturels de rencontre des mondes soignants et sourds.

Nous sommes tous égaux. L’égalité des intelligences s’oppose à la hiérarchie entre soignants et soignés, entre entendants et sourds. Reconnaître un autre différent ce n’est pas pour le rendre encore plus différent et l’empêcher d’avoir accès aux droits de la majorité. Graàce à vous, l’accès aux soins pour les sourds n’est plus un droit formel. Désormais ils peuvent être soignés dans des conditions égales à la population générale. Actuellement 20 unités existent en France et sont fréquentées par 14 000 sourds.

Nous sommes tous frères. Mais dès que nous fréquentons des personnes différentes le racisme, la surdiphobie peuvent surgir. Si on regarde de près, ce qui empêche les gens de vivre ensemble ce n’est pas leur diversité mais la peur. Pour éviter le repli sur soi, le raisonnement moral c’est bien mais souvent inefficace. La solution, le chemin est que chacun trouve son compte dans la rencontre.

De ce point de vue-là, les sourds ont de quoi nous enrichir. D’abord leur méthodes d’action : ils prennent progressivement leur place dans la société en luttant d’une manière que nous devons méditer. Aucune Bastille n’a grillé. Aucun pavé n’a été lancé. Leurs premiers porte-paroles n’ont pas été de farouches guerriers mais des comédiens. Concernant le vivre-ensemble nous avons des leçons à prendre. Du temps de l’apartheid la seule école où noirs, blancs et métis étaient côte-à-côte était l’école des sourds. A Jérusalem, les enfants sourds juifs, arabes, chrétiens sont sur les mêmes bancs.

Autre cadeau des sourds : ils nous montrent une communication plus précise, plus rapide.Leurs mains en se libérant dessinent des poèmes qui nous enchantent. Ils nous révèlent à nous-même une pensée visuelle en friche dans nos cerveaux. En bref, ils nous enrichissent au plus profond de notre corps et de nos perceptions.

Depuis vingt ans notre objectif a été le bien-être des sourds avec les sourds. Autour de nous, le monde est en plein bouleversement. Dès qu’il y a une mutation importante, des forces morbides se développent, des forces racistes, intégristes. Il faut faire barrage à tout fondamentalisme, qu’il soit marchand, nationaliste, religieux.
Depuis quelques mois nous sommes attaquée par les assassins de Daech. Nous devons nous protéger. Comment ? Certains prônent le repli sur soi. C’est une grave erreur.

Permettez-moi d’exprimer ma conviction profonde. Elle me vient de mes parents. Ils se connus et aimés dans la Résistance. Ils m’ont transmis un héritage que je veux transmettre à mon tour à mes enfants et petits-enfants présents ce soir. C’est une arme qui au bout du compte se révèlera décisive. Elle peut se résumer en une phrase. La tolérance et l’ouverture d’esprit donnent tout son sens à notre trésor le plus précieux : la liberté, l’égalité et la fraternité.


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