Vendredi soir
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La discussion qui s’est tenue vendredi [1] était très intéressante. Détendue et bon enfant, elle était aussi agréable. Néanmoins, j’en garde comme un arrière-goût de ce qui ressemble à de la frustration. Probablement la frustration de n’avoir pas su articuler sur le vif la réflexion que l’échange - et en particulier le discours de Pierre Volovitch - m’inspirait. Avec un long temps de retard, cette réflexion s’est un peu mise en ordre. On dit qu’il n’est jamais trop tard … Heureusement !
Il me semble que la conversation a tissé un tableau complexe mais à peu près clair du fonctionnement de la sécurité sociale, d’un point de vue assez descriptif. Mais lorsqu’il a été question de comprendre pourquoi cette institution évolue dans un sens qui nous déplaît profondément, nous n’avons pas poussé les prémisses données par Pierre Volovitch jusqu’à leurs dernières conséquences. Il faut dire que cela nous aurait fait changer de registre : on serait entrés dans des considérations de philosophie politique, ce qui n’était peut-être (sûrement !) pas l’idée que nous avions au départ.
Je m’explique. Pierre a fini par dépeindre les politiques actuelles comme “par défaut”, notamment en disant (je résume ce que j’en ai retenu - qu’on me corrige si je fais erreur) : “quand tu n’es pas capable d’avoir une discussion démocratique, un débat public, sur ce qu’on veut financer ou non, par rapport aux ressources dont on dispose … comment faire ?” Désolé c’est très schématique mais je crois que c’était ça.
Évidemment, comme cela a été dit (un peu rapidement) à propos de la “parabole de Portland”, lorsque dans un pays riche comme la France ou les USA, un système de santé a des ressources contraintes au point de devoir choisir entre financer les soins aux personnes malades et financer les soins aux personnes très malades … le problème principal se situe probablement au niveau de la contrainte budgétaire. Qui en Europe actuellement porte le nom de pacte de stabilité, ou d’austérité. Cela a aussi été dit en soulignant l’analogie avec la catastrophe grecque.
Mais au-delà de ça, les français ne sont pas par essence incapables de tenir une discussion démocratique ou un débat public, sur ce sujet comme sur les autres. Si ce débat n’a pas lieu, c’est parce les français, aujourd’hui, en sont incapables. Et c’est là que le débat change de registre : qu’est-ce qui cause cette impuissance ? Pour des raisons trop longues et difficiles à développer, ma réponse (pas que la mienne bien sûr) est : nos institutions - pourvu qu’on en envisage une définition en un sens très large. Nos institutions politiques et sanitaires, dont la sécurité sociale elle-même bien sûr, mais aussi les institutions syndicales, universitaires, hospitalières, et médiatiques évidemment. Si l’on en vient à dire que, pour devenir un outil de gestion collectif et solidaire de ressources attribuées collectivement et solidairement à la protection sociale, l’assurance maladie (mais la sécu dans l’ensemble) doit dépendre d’une discussion véritablement démocratique parce qu’elle relève de choix à faire en commun, il faut être prêt à dire que cela dépend de la mise en œuvre de mécanismes institutionnels adéquats à une telle gestion (collective et solidaire).
Cela rejoint une autre phrase de Pierre, qui disait que “la dimension collective de la santé est exclue de la culture française”. (Il a rajouté après que cette dimension était absente du discours des élites, ce qui fait deux choses assez différentes, je ne m’intéresse ici qu’à la première). Cela me semble un tantinet contradictoire avec la notion également avancée par Pierre que les français tiennent à leur sécu, parce que la protection sociale “quand on y a goûté …”. Mais disons-le comme ça : les Français tiennent à leur protection sociale, mais il n’entre pas dans leur culture de participer à sa gestion. Encore une fois : la culture française est un produit historique, qui n’est pas donné de toute éternité, et donc elle est modifiable. La culture française des années 50, parait-il, n’aurait jamais accepté le niveau d’envahissement publicitaire que nous subissons partout sans broncher (ou à peine). On peut même dire que la modification, la refonte de la culture est précisément l’objet d’une politique : c’est en interdisant le tabac dans les bars et les restaurants qu’on produit une culture française qui tousse quand un malotru en grille une. C’est en institutionnalisant convenablement la participation des citoyens à la gestion de la protection sociale qu’on produit une culture intéressée à la gestion collective de la protection sociale (entre autres).
Sommes-nous pour autant voués à attendre que de “bonnes institutions” voient le jour, toutes en même temps du jour au lendemain - soit : le grand soir au pays des bisounours ? Je ne crois pas. D’abord nous nous devons de lutter contre les reculs qui menacent (après ceux qui sont déjà passé … mais pas irrémédiablement : l’ANI n’est pas non plus gravée dans le marbre), et contre les contraintes budgétaires qui se durciront sans aucun doute si on ne se mobilise pas. Ensuite je pense que nous pouvons dès maintenant réfléchir et discuter des formes institutionnelles propices à un fonctionnement vraiment solidaire de l’assurance maladie, et militer ! Je signale que dans la définition “au sens le plus large”, le mode de rémunération des soignants est une institution ! Donc on a déjà commencé. Et revoilà un peu de frustration : nous avons à peine effleuré le sujet. Quels modes d’organisation pour faire en sorte que les gens se saisissent de ces questions qui les concernent ?
Vaste programme … pour les cafés cordels à venir !
[1] Café cordel du 20/11/2015, relatif au "trou" de la Sécu
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