Quel sens donner au déficit de la Sécu ?
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Le déficit est chiffré à 9.3 Md€ pour 2014, pour le régime de base. Mais quelle en est la signification ?
Comme tout solde comptable, il représente simplement la différence entre des recettes et des dépenses. Néanmoins, des ambiguïtés considérables minent chacun des termes de l’équation.
- Concernant les « dépenses », il s’agit de prestations, mais il est impossible, autrement que par le biais de concepts théoriques (satisfaction supposée du « client »-usager, évaluation du coût de la vie humaine...), de qualifier quantitativement l’adéquation du service à son but supposé.
- S’agissant des recettes, l’écart avec le modèle d’origine bouleverse au moins autant la marque assurantielle de départ de notre Sécurité sociale. Les cotisations sociales, en effet, auxquelles revenait le rôle de contrepartie des prestations fournies, n’assurent plus que 58% des recettes : le reste relève de l’impôt ou de contributions sociales diverses affectées par l’Etat à la Sécurité sociale.
Et de là naît la confusion : chaque année, nombreux sont les coefficients d’affectation de ces impôts ou contributions susceptibles de variations à la baisse comme à la hausse. Il en résulte une opacité autorisant tous les doutes quant à la signification réelle de soldes comptables que l’on semble être à même de manipuler en toute impunité...
Le malaise s’accroît lorsque, revenant à la recette de base – la cotisation –, l’on s’aperçoit que l’affaiblissement de son poids relatif parmi les ressources de la Sécurité sociale est le résultat moins d’une conjoncture économique défavorable que d’atteintes, perpétrées, pour certaines, par l’Etat :
- Les exonérations de charges sociales. Elles sont estimées à environ 20 Md€. Leur efficacité en termes de préservation des emplois, notamment pour les bas salaires est plus que discutée.
- La fraude. Estimée également à 20 Md€, elle concerne au premier chef le travail illégal, la fraude aux prestations, tellement montée en épingle, n’étant estimée qu’entre 1 à 3 Md€.
Certes, ces sommes ne sont pas récupérables dans leur totalité. Certaines parmi les activités concernées ne pourraient pas subsister dans la légalité. Mais il ne s’agit que d’une minorité.
Si enfin, dans un autre ordre d’idées, et s’intéressant à l’aspect dépenses, l’on pointait les effets du lobbying de l’industrie du médicament, ce sont 10 Md€ qui seraient récupérables.
Résumons-nous : des dysfonctionnements considérables, tolérés si ce n’est organisés par l’Etat lui-même, aussi bien au titre des ressources que des emplois, créent un déséquilibre des comptes de la Sécurité sociale tel que le même Etat se dit contraint de compléter la ressource cotisations par des impôts et autres contributions sociales. Cette manœuvre a deux conséquences :
- D’une part, il en résulte un transfert du fardeau des entreprises sur les ménages, donc un partage de la valeur ajoutée globale encore plus favorable au capital. Facteur aggravant : du fait de la non progressivité d’une fraction importante de ces prélèvements ce sont, parmi les ménages, les moins fortunés qui sont relativement les plus atteints.
- D’autre part, la fixation largement arbitraire de la part des impôts et contributions sociales affectée par l’Etat au financement de la Sécurité sociale permet, en définitive, de quasi programmer à l’avance le montant final du déficit. De la sorte sont légitimées toutes les pressions imaginables sur certains des acteurs du système, devenus les victimes de ces dérives. Et voilà justifiés le paiement à la performance des médecins, la remise en cause systématisée des arrêts de travail, etc.
Souligner ainsi le rôle majeur dévolu aux ressources pour manipuler à loisir le déficit final ne signifie pas renoncer à agir simultanément sur les dépenses. On a voulu simplement ici attirer l’attention sur deux points :
- Les ordres de grandeur des leviers dont on dispose pour influer sur ce déficit sont sans commune mesure : on dénonce, par exemple, côté dépenses, des dérives de quelques millions d’€ observées sur les arrêts de travail, la carte vitale ou sur tel comportement des soignants. Mais on omet, côté ressources, de traiter au fond des fraudes ou des exonérations indues portant, elles, sur des milliards.
- La substitution d’impôts et autres contributions sociales aux cotisations en fait une variable d’ajustement arbitraire, à la discrétion de l’Etat, qui peut ainsi fixer le montant final du déficit qu’il veut voir affiché.
Ce discours n’a rien de neuf. D’autres, bien avant moi, le tiennent depuis des années, Pierre Volovitch, entre autres.
N.B. Pour information, les ressources du Régime général de la Sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse.
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